Regret parental et burnout : deux souffrances à distinguer
On parle volontiers aujourd’hui de burnout parental, mais un autre phénomène plus discret, plus silencieux et profondément tabou mérite qu’on s’y attarde : le regret d’avoir eu des enfants. Oui, certains parents expriment un regret d’avoir fait ce choix de vie. Ce regret n’annule pas l’amour qu’ils portent à leurs enfants. Il traduit plutôt un décalage douloureux entre ce qu’ils espéraient de la parentalité et ce qu’ils en vivent. Une forme de deuil de l’existence qu’ils auraient pu avoir, s’ils n’étaient pas devenus parents.
Le burnout parental et le regret parental sont deux formes de souffrance psychologique bien distinctes, qui peuvent parfois coexister, mais ne doivent pas être confondues.
Le burnout parental est un syndrome de stress chronique qui s’installe lorsque les exigences du rôle parental dépassent durablement les ressources de l’individu. Il se manifeste par un épuisement physique et émotionnel intense, un détachement émotionnel vis-à-vis des enfants, une perte de plaisir dans le rôle parental, et une impression de ne plus se reconnaître comme parent. Ce n’est pas un simple « ras-le-bol », mais un véritable effondrement psychologique dans la sphère familiale.
Le regret parental, quant à lui, est une émotion introspective, complexe, souvent honteuse et tue. Il émerge d’un regard rétrospectif posé sur la décision de devenir parent, lorsqu’un individu réalise que cette décision a conduit à une vie qu’il juge insatisfaisante, voire étrangère à ses aspirations profondes. Ce regret n’est pas dirigé contre l’enfant en tant que personne – les parents concernés continuent d’aimer et de protéger leurs enfants – mais contre la parentalité comme expérience de vie.
Dans nos recherches menées auprès de parents issus d’une trentaine de pays, nous avons observé que le burnout parental touche en moyenne 4,5 % des parents. Le regret parental, lui, concerne environ 7 % d’entre eux, avec des taux qui varient fortement selon les pays : jusqu’à 14 % dans certaines régions du monde, contre à peine 3 ou 4 % ailleurs. Ce n’est donc pas un phénomène marginal. Et pourtant, il reste largement absent des discours publics et des dispositifs de soutien à la parentalité.
Ce qui est frappant, c’est que les deux formes de détresse ne s’additionnent pas simplement : elles interagissent. Certains parents sont épuisés sans éprouver de regret. D’autres regrettent sans être épuisés. Mais chez une minorité – environ 3 % – les deux coexistent. Et dans ces cas-là, elles se nourrissent mutuellement. Le regret fragilise l’engagement dans le rôle parental, alimente le doute et la culpabilité, et peut faire glisser vers l’épuisement. Le burnout, de son côté, accentue les sentiments d’échec et de perte de sens, et peut renforcer le regret. Un véritable cercle vicieux peut alors s’enclencher.
Nos études ont également mis en lumière des conséquences très différentes selon qu’il s’agisse de burnout ou de regret. Le burnout est clairement associé à des issues graves : pensées d’évasion, négligence des enfants, voire violences verbales ou physiques. Le regret, lui, n’est pas lié à ces comportements, mais il peut à terme contribuer à détériorer le lien affectif avec l’enfant, notamment en diminuant la proximité parent-enfant. Ce n’est pas tant la quantité d’interactions qui change, mais la qualité du lien, la chaleur émotionnelle, la capacité à se sentir bien ensemble.
Ces distinctions sont essentielles sur le plan clinique. Pour les professionnels qui accompagnent les parents en souffrance, il est crucial d’évaluer les deux dimensions – burnout et regret – car elles nécessitent des approches spécifiques. Le burnout fait déjà l’objet d’interventions validées, basées sur la restauration des ressources parentales et la réduction des stresseurs. Le regret parental, en revanche, reste encore largement sous-investi dans les pratiques cliniques. Il demande une écoute fine, dénuée de jugement, et une aide à la reconstruction identitaire.
Nous recommandons également d’utiliser des outils de mesure adaptés. Le Parental Burnout Assessment (Roskam et al., 2018) permet de repérer les symptômes spécifiques du burnout, tandis que la Parenthood Regret Scale (Piotrowski et al., 2023) plus récemment développée, offre une mesure nuancée du regret parental, bien plus précise qu’une simple question binaire.
C’est d’autant plus important que le regret, pris isolément, pousse rarement les parents à consulter. Il se manifeste dans le silence, parfois dans une grande solitude, et passe souvent inaperçu.
Enfin, nos recherches soulignent l’importance d’intégrer les dimensions culturelles dans l’analyse de ces phénomènes. Les attentes sociales vis-à-vis des parents, la pression à la parentalité, la valorisation du sacrifice ou de la réussite familiale varient d’un pays à l’autre, et influencent à la fois la survenue du burnout et celle du regret.
En conclusion, prendre soin des parents, c’est aussi apprendre à entendre leur ambivalence, leur fatigue… et parfois leur regret. Non pour les culpabiliser, mais pour les accompagner là où ils en sont. Avec humanité, sans tabou. Car derrière chaque parent en difficulté, il y a une personne qui tente de rester debout, parfois seule, parfois épuisée, mais toujours digne d’être écoutée.